Et oui. pourquoi pas ? Ce court morceau n’est-il pas un sujet d’étude valable ?
J’ai en tête ce morceau depuis l’achat en 1988 du disque de Ann Quéffelec sur les œuvres de Satie. Cet achat fait en pleine période d’écoute multiples de compositeurs contemporains a été un oasis calme dans la tempête (pas le seul puisque j’écoutais aussi Debussy et d’autres compositeurs de début du siècle). Plus tard, la version de 1984 de Pascal Rogé est venue s’ajouter à ce premier disque pour m’émouvoir autant, me permettant de voir les imperfections de l’interprétation de Ann Queffélec (du moins ce que j’estime être des imperfections! Ce n’est que ma sensibilité et ma compréhension de l’œuvre qui parlent). Est-ce pour cela qu’elle même rejoue régulièrement ce morceau et le répertoire de Satie depuis plus de trente ans maintenant ? Pour s’améliorer et présenter au public des variations comme un peintre qui ne saurait jamais finir sa toile.
Le film de 2006 « le voile des illusions » dans lequel cette gnossienne est interprété par Lang Lang et surtout l’interprétation particulière dans le film de Takeshi Kitano « Violent Cop » revu récemment l’ont rendu présent à ma mémoire et donné l’envie d’en faire quelque chose. Une recherche sur internet sur Thylacine à propos de la musique de la série déjantée « OVNI(s) » m’a fait découvrir deux autres versions de cet auteur plutôt axé musique électronique de festival. Ses versions sont intéressantes et la version Satie II en duo avec le pianiste Tsugi, lui-même étant au baglama, un instrument turc genre mandoline à cordes doublées, très réussi avec une rythmique douce allant crescendo montrant une réelle sensibilité. Ayant en tête la création d’une version « remix » ou d’un arrangement multi-instruments, j’ai donc lancé une recherche de ce morceau sur youtube et d’en voir une utilisation à toutes les sauces. Derrière les interprétations des pianistes majeurs du 20ème et maintenant 21ème siècle, (Ann Quéffelec, Pascal Rogé, Lang Lang, déjà cités mais aussi Alexandre Tharaud, Fazil Say, Stéphanie Elbaz) on trouve une multitude d’interprétations plus ou moins talentueuses et d’arrangements pour d’autres instruments.
J’en ai écouté plus de 250 à la fois au piano seul, à la harpe, à la flute, à la guitare, à l’accordéon, pour petits ensembles orchestraux mêlants accordéons, violons, violoncelles, guitares, flutes, clappements de mains et autres chants mais aussi des versions électroniques dont la qualité n’est pour la plupart vraiment pas à la hauteur de cette part de gourmandise d’humanité dont la recette de Satie est maintenant universelle. Dans cette partie acoustique quelque interprétation « moderne » a pu m’étonner telle celle de « Decostruttori Postmodernisti » racontée comme une histoire, m’émouvoir comme celle chanté de Javier Ruibal, « La flor de estambul » déjà maintes fois copiée avec talent par d’autres chanteurs hispaniques ou me rappeler les plus belles œuvres de Hariprasad Chaurasia ou Ronu Majumdar à la flûte Bansurî comme la version Solo de Praful alias Ulrich Schröder. Je ne peux les citer toutes mais j’éditerai les meilleures en parallèle de mes articles sur Gnossienne.
Comme je le disais, les interprétations électroniques ou « remix » ne sont pas au rendez-vous à quelque exception près. A part celle de Thylacine qui se situe plutôt du coté de l’acoustique par l’usage du piano et du baglama et un peu de l’électronique par la partie rythmique, trois versions m’ont convaincues par l’ensemble des qualités musicales qu’elles recèlent et l’inventivité des arrangements. Celle de « Tµmmetott & Oscar B » en est un bon exemple. Une autre version, celle de « Lost Unicorns », conserve la sensibilité de l’œuvre d’origine avec une rythmique contenu ne prenant pas le pas sur l’œuvre originale. Une dernière, celle de DJ Nirso m’a aussi emballé par une rythmique arabisante contenue donnant au morceau un swing vraiment moderne sans altérer les qualités de l’œuvre originale et le mystère qu’elle contient.
Et moi qu’ai-je à apporter dans cette profusion de version ? Peut-être un peu vous aider à comprendre l’œuvre « à ma manière », vous aider à la jouer si vous êtes musicien(s) amateur(s) ou (même) professionnel(s), vous aider à faire votre propre version à l’aide de quelques outils et conseils. Peut-être est-ce le but de cet article ? En tout cas c’est pour moi l’occasion de parler d’un petit morceau mais d’une grande œuvre. 818 notes exactement (si je n’ai pas mal compté) qu’on peut dompter et multiplier à l’infini et y ajouter ses propres notes afin d’en faire autre chose et de s’amuser.
Dans des articles précédents, j’ai pris deux œuvres de Steve Reich « Clapping Music » et « Music for Pièces of Wood » que j’ai programmé vu leur caractère répétitif avec un outil informatique intéressant qui s’appelle Sonic Pi. En fait un programme utilisant le python pour attaquer une bibliothèque musicale. Une bonne façon pour moi d’éduquer les jeunes à l’apprentissage de la programmation. Malheureusement je ne peux le faire pour cette œuvre dont les changements constants de jeu et le peu de répétition ne conviennent pas à son usage. On en revient donc à des outils de musique informatiques traditionnels : Cubase, Logic pro, FL Studio, Live, Maschine et d’autres encore peuvent être utilisé suivant vos préférences et ce qui est installé sur votre ordi. Pour ma part j’ai utilisé Maschine de Native Instruments et un peu Logic, mais aussi Audacity pour jouer après la création sur certains paramètres sonores.
Vous pouvez facilement télécharger une version midi de Gnossienne n°1 et même une partition qui vous donnera des annotations sur la façon de jouer le morceau. Même si les indications de Satie sont plutôt absconses la mise en concordance de la partition avec les quelques versions pianos de Youtube vous montreront les points délicats de l’interprétation et du jeu. Moi-même j’avoue ne pas y avoir trop fait attention sinon que par les changements de hauteurs du son d’un groupe de notes dans le fichier midi. Hauteurs que j’ai plus ou moins faites correspondre à mes propres aspirations.
Je m’arrête là aujourd’hui. L’écoute des morceaux cités et la prise en main de la partition dans votre DAW sont déjà un grand travail que vous pouvez réaliser si vous voulez comprendre l’œuvre. L’écoute est aussi importante en musique que le jeu. Imprégnez vous de la mélancolie de ces 3 minutes et quelque. Décodez la partition superposez là à votre écoute. Trouvez le meilleur piano ou autre instrument qui vous convienne. N’hésitez à essayer, à changer, à écouter, à rejeter, à enregistrer, à comparer. Cela fait une semaine et demi que je suis dans ce trip et je n’ai pas encore de saturation malgré vraiment beaucoup de temps passé. J’espère qu’il en sera de même pour vous.
Bonne écoute, bon travail.