L’animisme est un imaginaire complètement futuriste.

Je viens de lire un court article sur le site Usbek et Rica dont le titre m’a interpellé. Je regrette qu’il soit si court, uniquement la présentation d’une personne et d’une idée, un manque cruel de profondeur pour une idée à la fois certainement la plus ancienne au monde et à l’esprit des hommes et peut-être la plus tournée vers le futur.

L’animisme est la première expérience consciente de l’homme de la pensée de quelque chose de plus puissant que lui, d’immortel et d’incompréhensible. De cette révélation, l’homme s’est toujours senti entouré de forces invisibles qu’il a peu à peu cherché à comprendre et à dominer. La plupart des peuples ont été à une période de leur histoire animistes même si c’est tellement loin que personne ne s’en souvient. Pour certains c’est resté de l’ordre de grands principes, pour d’autres il y a eu création d’une pléthore de divinités et d’esprits invisibles à l’œil de l’homme au point qu’on pourrait dire que chaque objet était une divinité au même titre que les bouddhistes croient qu’une personne peut se réincarner en tout et en n’importe quoi, univers ou grain de sable, vent ou rayon de soleil, pierre ou dieu lui-même ou quoi que ce soit qui pourrait être considéré comme une entité à part entière.

En considérant le fait que chaque chose pourrait être une âme, un esprit, une entité divine, on en vient à respecter cette chose et à devoir la protéger. de là le titre de cet article :

« l’animisme est un imaginaire complètement futuriste »

Cette citation de Achille Mbembe modifiée et citée par Céline Dartanian dans l’article de Usbek et Rica est aujourd’hui pleinement compréhensible à la lueur de la perte de biodiversité que subit notre planète. Actuellement, chaque espèce animale et végétale, chaque biotope, chaque espace naturel propice à la préservation de la vie sur terre doit être protégé. Il faut arrêter de penser en terme de progrès si ce progrès n’est en fait que la création d’objets qui s’accumuleront dans des décharges et qui pour être construits demanderont l’usage de ressources qui viendront à s’épuiser, qui dégraderont notre planète jusqu’à ce que cela nous mette dans des situations de plus en plus précaires.

On me dit matérialiste parce ce que j’ai beaucoup d’objets. Je dirai plutôt que si j’ai beaucoup d’objets c’est parce que je ne jette rien et que j’ai horreur du gaspillage. Dernièrement mon fils a aidé au déménagement d’un ami et ce dernier à détruit complètement la majorité de ses meubles pour pouvoir acheter des produits jetables dont il pourra ce débarrasser de nouveau ultérieurement !?

Un meuble est généralement fait en bois. Le bois est issu d’un arbre et un arbre met un certain temps à pousser. En faisant des meubles jetables, on provoque la poussée d’une multitude d’arbre à la seule fin de l’esprit mercantile de firmes comme Ikea mais aussi leur coupe, leur transformation. Vous me direz que pour absorber le dioxyde de carbone qu’on produit, il faut en faire pousser des arbres mais il faut plutôt ne pas en arracher, les laisser vieillir le plus longtemps possible, ne pas faire de meubles jetables et ne pas polluer par la construction de ceux-ci, leur transport avant et après transformation…

Dans un mode de pensée animiste, on considérera que l’arbre est une divinité ou du moins que c’est un être doué de sensibilité et intégrant un esprit ou éventuellement une âme. D’ailleurs on parle de plus en plus des moyens de communiquer des plantes et de leur sensibilité, que ce soit par la musique dans les vignes chassant les maladies, la création et la diffusion de principes chimiques pour prévenir d’un danger, l’intrication des racines, le partage de ressources, la tension électrique de certaines plantes vue comme leur système nerveux, la symbiose d’espèces différentes au même titre que les parasites que l’on retrouve sur les animaux ou l’homme. D’ici peu certains mouvements sectaires se créeront pour empêcher de manger des plantes au même titre que la viande animale… bref.

Cet arbre Ikea, je disais que l’animisme le protégera, du moins il permettra à chacun de se demander s’il est utile de le couper, s’il est utile de faire des meubles jetables, s’il n’y a pas un autre moyen d’utiliser cette ressource et de la pérenniser jusqu’à l’inéluctable.

Je prends un exemple :

Il y a quatre ans à Paris, la cathédrale Notre-Dame de Paris a été victime d’un incendie. Cette cathédrale a été édifiée sur presque deux siècles entre le milieu du Xiième et le milieu du XiVème siècle. Depuis au moins la première moitié du Xiiième la cathédrale a reçu sa charpente et cela même si un incendie se serait déjà passé à cette période. Dans la deuxième moitié du XiXème Roger Viollet-le-Duc restaure la cathédrale et fait modifier la charpente avec la pose d’une flèche en son centre (et de nouveau un incendie). C’est cette flèche et la toiture qui étaient restaurées en avril 2019. Le feu est certainement parti de cela que ce soit un mégot ou l’action d’un point chaud mal maitrisé et non surveillé postérieurement aux travaux effectués. La charpente de notre Dame de Paris avait 800 ans pour une bonne partie de l’ouvrage et déjà un siècle et demi pour la restauration de Viollet-le-Duc. Comment ferait-on si on avait une charpente en technologie Ikea ? Tout cela pour dire qu’un ouvrage bien fait peut durer largement plus longtemps qu’un meuble jetable de chez Ikea sans consommer plus de ressources.

La pensée animiste permet de se demander s’il est utile et nécessaire d’abattre cet arbre et de le faire dans le respect de celui-ci lorsque cela survient, de créer de cette coupe des objets durables, beaux, bien construits dont la durée de vie sans être équivalente à la charpente d’un bâtiment comme Notre-Dame permettrait d’assumer la coupe de cet arbre, son sacrifice, le travail de réduire celui-ci en bouilli pour en faire des plaques fragiles et éphémères dans un meuble transitoire. De plus la fabrication d’un tel meuble permettrait un travail principalement local et infiniment plus que ne peut l’être celui fourni pour la fabrication d’un meuble Ikea ou d’un des multiples fabricants et revendeurs qui s’approvisionnent en Chine. Surtout que les chinois s’approvisionnent en arbres partout dans le monde pour cette production.

Je prend cette histoire d’arbres mais on peut l’étendre à vraiment, vraiment beaucoup d’activités humaines. Je prendrai l’exemple de l’extension de l’aéroport de Nantes et de la destruction des zones humides de Notre-Dame-des-Landes — Ce n’est pas exprès si j’ai choisi deux lieux ayant des noms similaires, c’est le hasard mais le parallèle entre un bâtiment parmi les plus beaux et durables construit par l’homme et un lieu naturel unique par son biotope et construit par la nature (mais aussi par l’homme) est significatif. Si on considérait ces zones comme des zones divines dans le sens animiste alors on ne pourrait pas construire dessus. La terre est sacrée, les plantes et les animaux sont sacrés alors pourquoi détruire ces espaces sacrés pour les remplacer par 400 m de pistes inutiles au vue des efforts à fournir pour désengorger le traffic aérien et limiter la pollution atmosphérique et sonore autour de Nantes.

Avec le concept de l’animisme, on transforme le sacré à l’ensemble du vivant mais aussi à l’ensemble des lieux naturels existants encore dans le monde. Rien n’oblige à ne pas profiter de cet environnement, mais en plus d’être impliqué dans une gestion durable des ressources, il y ajoute une valeur spirituelle nécessaire à sauver ce monde et à le laisser intact sinon beaucoup plus sain qu’il ne l’est aujourd’hui pour les générations futures.

L’animisme augmentera la conscience humaine, redonnera des valeurs à la nature, la flore, la faune, aux lieux en général. On pensera d’abord à les protéger plutôt qu’à les utiliser, à limiter notre emprise sur eux, à leur rendre une indépendance qu’ils ont perdu depuis que l’homme se les attribue comme sa propriété sans voir qu’il coexiste avec des millions d’autres espèces animales et végétales. La place de l’homme sur terre est comme la liberté entre les hommes, elle s’arrête où commence celle des autres qu’il soit l’un de ces congénères ou un autre animal en voie de disparition ou une plante exigeant un biotope particulier. Le tout est de savoir qu’elle est notre place, quelle liberté on a encore et comment être respectueux de cette nature dont on est issu et qu’il nous est obligatoire de protéger pour un avenir radieux.

L’animisme nous y aidera et je vous invite à y penser.

Vous pouvez aussi lire cet autre article de Pablo Maillé sur Achille Mbembe autour du même sujet :

Les métaphysiques africaines sont des réservoirs d’imaginaires futuristes

PS : Je demande pardon à toutes les personnes « inclusives » de ne pas utiliser cette méthode de notation et d’utiliser le terme « homme » pour désigner un « être humain ». Je ne suis pas antiféministe, je n’adhère à aucun mouvement « wokiste », de « cancel culture », de « révisionisme »; Je prône la liberté d’esprit, la bienveillance, le respect de l’autre et de la pensée d’autrui, le choix de croyance et je demande le respect de mes propres choix.

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